Le gouvernement multiplie les facilités accordées aux entreprises, mais les résultats tardent. Les banques, souvent accusées de constituer un handicap pour l’économie algérienne, se rebiffent. Il faut chercher la faille ailleurs, disent les banquiers, qui refusent d’être les éternels boucs émissaires. Ce qui ouvre de nouvelles pistes. Et si le gouvernement établissait un diagnostic erroné, ce qui l’amène à proposer de fausses solutions ?

Et si les banques algériennes étaient hors de cause ? Systématiquement mises en accusation dans les faibles performances de l’économie algérienne, les banques communiquent peu. Elles ne se défendent même pas. Seule l’ABEF (Association des Etablissements bancaires et Financiers) s’exprime ponctuellement en leur nom. Se sentent-elles coupables ? Non, nous dit un économiste, « les banques publiques ne disent rien parce qu’elles redoutent leur tutelle. Les banques étrangères installées en Algérie se contentent de gagner de l’argent, beaucoup d’argent. Pourquoi auraient-elles besoin de communiquer du moment qu’elles croulent sous les bénéfices ?».

Pourtant, hier encore, M. Réda Hamiani, le patron du Forum des Chefs d’entreprises, affirmait que les entreprises algériennes ne prenaient pas d’envergure notamment en raison du refus des banques de les « accompagner ». Selon lui, les banques « n’accordent pas assez de facilités » aux entreprises. Mais la déclaration de M. Hamiani contre ce bouc-émissaire traditionnel est de plus en plus contestée. Les banquiers ont d’ailleurs beau jeu de rappeler, en privé, le peu d’envergure des entreprises, leur gestion traditionnelle, et leur incapacité à monter de vrais projets, souvent à cause de leur propre faiblesse managériale.

M. Djamel Benbelkacem, directeur-conseiller à la Banque d’Algérie, s’est frontalement attaqué au discours des organisations patronales, en révélant l’ampleur des opérations de crédit durant l’année 2012. Les crédits à l’économie ont augmenté de 15,3% en 2012, a-t-il dit. Les banques ont accordé 4.300 milliards de dinars (57 milliards de dollars), dont 68% sont des crédits à long terme destinés à l’investissement.

Il a aussi balayé d’un revers de la main les clichés accolés aux banques. Contrairement aux idées reçues, le crédit bénéficie davantage au secteur privé (53%) qu’au public. En outre, les banques prennent des risques. Preuve en est donnée par les crédits considérés comme « non performants », qui s’établissent à 16%, un taux très élevé.

Les banquiers bottent en touche

Et puis suprême argument, les banques publiques algériennes et les banques étrangères installées en Algérie travaillent au même rythme. « L’accroissement du crédit se fait au même rythme dans les banques privées et dans les banques publiques », selon M. Benbelkacem. Les banques publiques algériennes seraient-elles, dès lors, aussi performantes que les banques étrangères ?

L’argument conforte, en tous cas, les propos tenus par l’ancien président de l’ABEF, M. Abderrahmane Benkhalfa. Tout en reconnaissant les faiblesses des banques, M. Benkhalfa avait rejeté la balle dans le camp adverse. Certes, a-t-il dit, les banques ont raté le virage de la modernisation, n’assurent pas un maillage suffisant du tissu économique et social, et croulent sous des liquidités qu’elles n’arrivent pas à placer. Mais est-ce de leur faute s’il n’y a pas non plus assez d’entreprises, ni assez de demandes de crédit, et si les entreprises sont mal managées, ce qui les empêche d’accéder facilement au crédit ?

Si les banques se rebiffent, et refusent d’assumer le rôle de bouc-émissaire, il faut trouver d’autres explications pour expliquer la faible performance de l’industrie algérienne, qui réalise à peine 4.6% du PIB, un chiffre dérisoire. Deux boucs-émissaires ont été récemment mis en avant. Les entreprises privées mettent en cause le fameux « climat des affaires ». Le ministre de l’industrie, M. Cherif Rahmani, reconnait que ce climat est « déplorable ». Du coup, le patronat met la pression, dénonce, par la voix de M. Hamiani, la « bureaucratie », qui constitue une « pollution » pour l’économie algérienne, et demande une « amélioration » de ce fameux « climat des affaires.

Mais la question reste posée : comment améliorer le climat des affaires ? S’agit-il de mesures juridiques, règlementaires, financières ou politiques ? S’agit-il d’offrir davantage de facilités ? Et lesquelles ? Personne ne sait de quoi il s’agit au juste. De nouvelles rencontres sont organisées cette semaine pour examiner ce dossier, selon le patronat, qui se félicite de l’entente cordiale qui règne entre lui et le gouvernement.

Diagnostic erroné

Cette détente n’est toutefois pas une garantie de solutions, car « tout laisse penser qu’on s’achemine de nouveau vers diagnostic erroné », nous dit un économiste. « Le gouvernement ne veut pas se rendre à l’évidence : en Algérie, les conditions sont telles qu’il est plus facile d’importer que de produire localement », nous dit cet économiste, pour qui le gouvernement est « doublement piégé ». D’une part, l’Algérie a signé, notamment avec l’Union européenne, des accords pénalisants, qui rendent impossible l’émergence d’une industrie algérienne. D’autre part, le gouvernement ne peut pas prendre des décisions qui s’imposent, en augmentant les taxes sur les produits importés, par exemple, car il redoute une explosion sociale. « Résultat : le gouvernement établit des diagnostics erronés, propose de fausses solutions, pour aboutir aux mêmes résultats ». Cet économiste estime que «les entreprises profitent pleinement de cette situation, et c’est de bonne guerre, mais pour le gouvernement, il ne s’agit pas d’annoncer de bonnes intentions, mais de changer de cap ».

Second bouc-émissaire souvent cité pour expliquer le faible rendement des entreprises, publiques cette fois, la « pénalisation des actes de gestion ». Cet argument est mis en avant pour justifier la léthargie que connait ce secteur. Mais là encore, un ancien patron de grande entreprise estime que «ce n’est qu’un prétexte ». « L’argument était valable quand les entreprises étaient autonomes, avec des PDG qui pouvaient définir des programmes et les exécuter. Ce n’est plus le cas. Les ministères ont repris le contrôle total des entreprises. Celles-ci ne sont plus que des antennes administratives », dit-il, qui peut imaginer aujourd’hui que les patrons de Sonatrach, Sonelgaz, Air Algérie ou Cosider soient libres de définir la politique de leurs entreprises respectives ?

Selon cet ancien PDG, « les ministères ont repris le contrôle total des entreprises ». « Avant de parler de dépénalisation des actes de gestion, il faut d’abord rendre aux entreprises leur pouvoir».

 

source: http://www.lequotidien-oran.com