En Algérie, depuis le 1er janvier 2010, la comptabilité des entreprises, des banques et des compagnies d’assurances est établie selon le principe de la prééminence de la réalité économique sur l’apparence juridique, comme le stipule l’article 6 de la loi n° 07-11 du 25 novembre 2007 portant Système comptable financier.
Et en application des dispositions de cette loi, le décret exécutif N°08-156 du 26 mai 2008 a été promulgué et a fixé comme objectif à la comptabilité de chaque entreprise la possibilité d’effectuer des comparaisons périodiques et d’apprécier l’évolution de l’entreprise dans une perspective de continuité d’activité.
En examinant les normes internationales IAS/IFRS, nous constatons que celles du nouveau Système comptable financier (SCF) algérien s’en inspirent largement.Les normes IAS/IFRS sont appliquées depuis janvier 2005 par tous les groupes de sociétés européennes cotées en bourse et se sont imposées en Europe dans un souci d’harmonisation des informations comptables à fournir aux investisseurs qui s’adressent aux différentes Bourses et d’éviter ainsi aux sociétés cotées sur plusieurs bourses de fournir des informations comptables en autant de modèles.

L’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Russie et l’Afrique du Sud ont suivi la décision de la commission européenne, qui consiste à considérer les IAS comme les règles comptables obligatoires pour les sociétés européennes cotées en bourse et ce qui permet d’éviter que les informations soient fournies sur un modèle différent d’un pays à l’autre.

Ainsi, les normes IAS/IFRS ne sont obligatoires que pour les sociétés cotées en bourse et l’objectif visé est de présenter des informations financières aux éventuels investisseurs. Dans ce cadre, il est assigné à la comptabilité un rôle informatif permettant aux investisseurs des prises de décisions. Mais, pour établir des comptes qui permettent la détermination du patrimoine de l’entreprise, le calcul de ses bénéfices distribuables aux associés, le calcul des bases imposables et de procéder à divers contrôles, chaque pays a son propre système comptable adopté en-dehors des normes IAS/IFRS ou qui s’en approche.

En Algérie, le plan comptable national (PCN) qui s’appliquait depuis 1976, a été abrogé par l’article 42 de la loi n° 07-11 du 25 novembre 2007 et a été remplacé par le nouveau SCF entré en vigueur à partir de janvier 2010. Selon ce système, certains éléments à inscrire en comptabilité sont à évaluer à la juste valeur, à la valeur de réalisation ou à la valeur actualisée, tel qu’il est stipulé dans l’arrêté du 26 juillet 2008 du ministre des finances fixant les règles d’évaluation et de comptabilisation, le contenu et la présentation des états financiers ainsi que la nomenclature et les règles de fonctionnement des comptes.

La comptabilité ainsi tenue permet-elle d’établir un bilan qui reflète le patrimoine de l’entreprise, déterminer un bénéfice incontestable, des bases d’imposition conformes au droit fiscal et peut-on l’utiliser pour procéder à des contrôles ? Cette comptabilité peut-elle être admise en justice pour le règlement des litiges ?

En effet, pour toute entreprise, des droits et obligations naissent depuis la prise des premiers engagements de sa constitution jusqu’à sa liquidation définitive. Son patrimoine prend forme dès la présentation des apports initiaux des associés et après le commencement de son activité, se réalisent des achats, ventes, productions, encaissements, décaissements, etc. et il importe de suivre toutes ces opérations. C’est le rôle de la comptabilité. C’est une technique d’enregistrement et de classement des centaines, voire des milliers de transactions annuelles de chaque entreprise et de conservation de leurs pièces justificatives. C’est à travers la comptabilité qu’il est possible de déterminer les droits et obligations des parties en conflit, de déceler la commission de certaines infractions et de relever les preuves écrites y afférentes. Comme c’est en son sein que sont conservées les pièces justificatives de toutes les opérations de l’entreprise.

Mais, les entreprises astreintes à tenir leur comptabilité dans le respect des principes définis par l’arrêté du 26 juillet 2008 fixant les règles d’évaluation et de comptabilisation, le contenu et la présentation des états financiers ainsi que la nomenclature et les règles de fonctionnement des comptes peuvent modifier les valeurs nominales et comptables. Cette possibilité est prévue par l’article 37 de la loi n° 07-11 du 25/11/2007 et l’article 38 de cette même loi disposant que les changements d’estimations comptables sont fondés sur les changements des circonstances sur lesquelles une estimation est effectuée, une meilleure expérience ou de nouvelles informations et permettent d’obtenir et de fournir une information plus fiable.

Les éléments concernés par les changements de valeurs sont :
– les immobilisations qui sont à réévaluer chaque année ;
– les stocks ;
– les charges et produits pour lesquels un différé de paiement est obtenu ou accordé, y compris les ventes qui doivent être évaluées à leur juste valeur de la contrepartie reçue ou à recevoir à la date de la transaction.
Par ailleurs, les entreprises doivent comptabiliser les impôts différés conformément à l’arrêté d’application du système comptable financier (SCF). L’impôt différé correspond à un montant d’impôt sur les bénéfices payables ou recouvrables au cours d’exercices futurs. En cas de nouvelles informations ou de nouveaux indices, il est procédé à nouveau à d’autres changements de valeurs. Les comptabilités tenues suivant les principes du Système comptable financier aboutissent donc à l’élaboration de registres comptables ne correspondant pas aux pièces justificatives établies lors des transactions. Ce qui rendra très difficile l’accomplissement des missions de contrôle des vérificateurs de l’administration fiscale, des experts comptables, des commissaires aux comptes, etc. alors que le contrôle est l’une des raisons d’être de la comptabilité.

Aussi, les bénéfices déterminés à la fin de chaque année pourront devenir une source de conflits entre les associés vu que le montant du bénéfice résulte non pas d’opérations comptabilisées sur la base de pièces justificatives probantes, mais sur la base d’estimations de valeurs fixées par les dirigeants de l’entreprise. Et ces mêmes causes peuvent engendrer des contestations quant à la situation patrimoniale de l’entreprise établie à travers un bilan élaboré par une telle comptabilité. Cette comptabilité tenue sans observation des formalités prescrites par le code de commerce risque de ne pas être admise par les juridictions en charge des infractions économiques et financières et les juridictions en charge des litiges en matière commerciale ou fiscale.

Aux termes de l’article 4 du décret exécutif n° 08-156 du 26 mai 2008 portant application des dispositions de la loi n° 07-11, la comptabilité doit permettre d’effectuer des comparaisons périodiques et d’apprécier l’évolution de l’entreprise dans une perspective de continuité d’activité. Alors que suivant le code de commerce, la comptabilité a pour finalité de retracer de manière objective, conformément aux techniques réglementaires, l’évolution des éléments du patrimoine de l’entreprise. Ce qui a induit une divergence de taille consistant à prendre en considération, pour l’une, le transfert des avantages économiques, et pour l’autre le transfert de propriété.

En termes clairs, au bilan élaboré suivant le SCF, nous retrouvons des actifs dont la propriété n’a pas été transférée à l’entreprise.
A défaut d’admission de cette comptabilité, le secteur de la justice doit-il instituer son propre système comptable répondant à ses besoins à l’instar du secteur des finances qui, pour les besoins de l’administration fiscale, a instauré des règles consistant à établir un bilan annuel quasiment purgé de tous les changements d’estimation réalisés conformément au nouveau Système comptable financier afin d’obtenir des bases imposables conformes au Droit fiscal ?

Sarrab Larbi : commissaire aux comptes / expert judiciaire agréé