La facture alimentaire de l’Algérie a baissé de près de 10% durant les onze premiers mois de l’année 2012, passant de 8,98 milliards de dollars à 8,10 milliards. Ne pensez-vous pas tout de même que c’est un seuil inquiétant, d’autant plus que cette facture a plus que triplé depuis 2003 où elle atteignait 2,5 milliards de dollars ? Il faut souligner, d’abord, que cette baisse représente un gain de 800 millions de dollars. Mais, de mon point de vue, ce n’est guère significatif. Il faut savoir que la facture alimentaire a tendance à augmenter depuis une dizaine d’années. Elle a été pratiquement multipliée par trois par rapport à 2003 alors que la population n’a pas été multipliée par trois dans le même temps. Ceci dénote que l’agriculture n’arrive toujours pas satisfaire les besoins du pays. Il faut quand même noter qu’inévitablement, cette facture devait augmenter avec l’amélioration du niveau de vie et du pouvoir d’achat des Algériens, consécutivement à la hausse des salaires. Je rappelle que le gouvernement a augmenté les salaires et le pouvoir d’achat de manière inconsidérée sans tenir compte des capacités économiques du pays. Et cela se traduit, bien entendu, par l’explosion de la facture alimentaire car la plupart des catégories sociales, profitent de leurs revenus, pour améliorer leur quotidien. Cette facture alimentaire représente 19% du total des importations. C’est très important quand on sait que les exportations hors hydrocarbures ne dépassent pas 2 milliards de dollars. En clair, l’Algérie, sans le pétrole, serait incapable de payer sa facture alimentaire. C’est un véritable drame économique dans la mesure où si rien n’est fait, avec l’épuisement de nos réserves de pétrole, on ne pourra pas payer notre facture alimentaire, celle des médicaments, etc. C’est dire la vulnérabilité de l’Algérie. Malheureusement, on n’a pas encore trouvé la politique économique adéquate pour y remédier. L’autosuffisance alimentaire n’est-elle pas un objectif chimérique vu les contraintes techniques et climatiques qui plombent le secteur agricole ? L’agriculture algérienne est confrontée à des problèmes structurels. Il y a beaucoup d’aberrations. Le peu de surfaces agricoles dont dispose l’Algérie, on est en train de les bétonner comme c’est le cas de la Mitidja et d’autres plaines du pays. Cela explique la stagnation, voire même la régression de la production agricole dans notre pays de manière générale, alors que la population augmente. Ce n’est pas normal. Il y aussi le problème de la désertification ; qu’a-t-on fait pour lutter contre ce phénomène ? Absolument rien jusqu’à présent ; il n’y a pas de projet d’envergure alors qu’elle menace le pays. De même que le problème d’eau se pose avec acuité. Les quantités dont dispose l’agriculture pour avoir de bons rendements sont insuffisantes. Par ailleurs, nous n’encourageons pas les paysans algériens à produire plus, sachant que les prix auxquels ils vendent leurs produits sont dérisoires. Je vous cite un exemple : on subventionne le lait importé et on ne subventionne pas la production de lait de manière conséquente pour satisfaire, au moins en partie, nos besoins en la matière. Nous sommes devenus un pays importateur par facilité, parce qu’il y a de l’argent. S’il y a une mesure urgente à prendre pour améliorer le secteur agricole en Algérie, c’est absolument de subventionner le producteur algérien et non pas le producteur étranger. Globalement, il faut arrêter de subventionner tous les produits importés. Pendant une dizaine d’années, on a injecté des sommes astronomiques dans l’espoir de permettre un décollage du secteur. Les résultats, le moins qu’on puisse dire, sont maigres. Pensez-vous que les politiques engagées jusque-là sont inadaptées ? En effet, les pouvoirs publics ont dégagé des sommes importantes, notamment dans le cadre du programme 2009-2014 ; le secteur agricole a bénéficié de 1000 milliards de dinars mais on a l’impression que c’est le tonneau des Danaïdes. Les résultats sont très maigres. Tout le monde constate que la stratégie agricole mise en oeuvre au début des années 2000 s’est essoufflée. Je dois insister sur le fait que l’autosuffisance alimentaire est une utopie. Ce n’est pas l’objectif de l’Algérie. Ce qu’il conviendrait de faire, c’est que l’Algérie puisse dégager des excédents à l’exportation pour essayer d’équilibrer sa balance agricole et permettre à ce secteur de connaître une relance effective. Faute de quoi, nous aurons toujours les mêmes problèmes et la facture alimentaire sera toujours en hausse.

SALAH MOUHOUBI: économiste

 

Source : http://www.elwatan.com